Touche pas à leur pute : quand les 343 auraient mieux fait de se taire.

Je rentrais, bien contente, d’une petit échappé en terre espagnole, repue de paella et les cheveux pleins d’embruns de la Costa Brava, quand, en jetant un coup d’oeil aux réseaux sociaux, je suis tombée sur le dernier fait d’arme de Beigbeder, Zemmour et autres (vrais) mâles du même acabit (il y a dans le tas le légitime de Frigide Barjot, ça laisse rêveur tout de même) : le manifeste des 343 salauds pour qu’on ne touche pas à « leur » pute. Autant te dire que j’ai fait des bonds jusqu’au plafond, couru vingt fois d’un bout à l’autre de l’appart pour me calmer les nerfs et manqué aller foutre le feu aux poubelles dans la rue.

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Je passe sur l’insulte faite par ces minables aux 343 femmes courageuses qui défendaient le droit à l’avortement quand celui-ci était interdit, alors qu’eux ne risquent strictement rien. Pour l’instant, seul le nom d’une petite vingtaine des 343 est public. On a tout de même du mal à croire que plus de 320 autres mous du bulbe aient apposé leur signature au bas de ce torchon qui appelle à la « liberté » pour les putes et les clients. Ben oui, parce que les putes et les clients, même combat évidemment, même amour du sexe libre mutuellement consenti avec appétit contre l’échange de quelques billets. L’ironie de la chose, c’est que ce pitoyable manifeste soulève un tollé de tous les côté : chez ceux qui n’avaient pas vraiment d’avis sur la question comme dans le camp des abolitionnistes et au sein du STRASS.  Ainsi, Morgane Merteuil écrivait hier :

« Abjecte, votre refus de reconnaître vos privilèges, et votre discours anti-féministe qui voudrait nous faire croire que vous êtes les pauvres victimes des progrès féministes : alors que vous défendez votre liberté à nous baiser, nous en sommes à défendre notre droit à ne pas crever. La pénalisation des clients, en ce qu’elles condamne de nombreuses femmes à toujours plus de clandestinité, n’est certainement pas un progrès féministe, et c’est à ce titre qu’en tant que putes nous nous y opposons. Car c’est bien nous putes, qui sommes stigmatisées et insultées au quotidien parce que vendre des services sexuels n’est pas considéré comme une manière « digne » de survivre. Nous, putes, qui subissons chaque jour les effets de la répression. Nous, putes, qui prenons des risques pour notre vie, en tant que clandestines dans cette société qui ne pense qu’à nous abolir. Alors n’inversez pas les rôles, et cessez donc de vous poser en victime, quand votre possibilité d’être clients n’est qu’une preuve du pouvoir économique et symbolique dont vous disposez dans cette société patriarcale et capitaliste. » 

Mais il ne faut pas s’énerver, Morgane. L’appel des 343 serait, paraît-il de l’humour. C’est vrai que c’est très drôle : les dominants ultimes de notre société (ils sont hommes, blanc, cisgenres, hétérosexuels, riches et médiatiques) en train de militer pour défendre LEUR liberté sexuelle, LEUR « désir », LEUR « plaisir ». Désopilant, non? Avec dans le texte des perles en veux-tu en voilà, en premier lieu l’amalgame entre la position abolitionniste et le puritanisme moralisateur. Parce qu’évidemment, pour eux, le gouvernement défend l’abolition de la prostitution parce qu’il n’a que ça à foutre que de s’insérer dans les histoires de fesses de la populace. Il faudrait sans doute leur expliquer que la bien-pensance et l’éthique ne sont pas la même chose. Ils défendent également « le droit de chacun à vendre ses charmes » (mettons) mais rajoutent « et d’aimer ça ». Bien sûr. Parce que les putes AIMENT se prostituer, c’est bien connu. De là à dire qu’avoir un rapport sexuel tarifé avec eux, c’est du pur plaisir, il n’y a qu’un pas, allègrement franchi. Les 343 crétins voudraient nous faire croire que les prostituées adoooorent coucher avec leurs clients – c’est à se demander pourquoi on les paie, d’ailleurs. C’est quand même savoureux d’essayer de faire passer la prostitution pour une activité glamour et fun quand ce qui les intéresse manifestement (sans jeu de mot) est que les hommes puissent librement disposer d’un corps quand bon leur semble, point barre, parce que faut pas déconner, c’est quand même leur droit inaliénable de mâles. Certains d’entre eux, d’ailleurs, n’ont jamais fait appel aux services d’une prostituée : certainement, la simple hypothèse qu’il n’y ait plus de corps de femmes à disposition contre rémunération dans notre société les froisse terriblement – quand j’y pense, ça me froisse aussi : où va le monde? Mais bon, heureusement qu’ils fustigent le sexe sans consentement et la traite des êtres humains. Ouf, on a eu chaud. C’est qu’ils sont gentlemen, en fait !

Il y a peut-être pire que les 343 : Elisabeth Lévy, directrice de la réaction de Causeur, le rouleau de PQ magazine qui leur tient lieu de tribune. Pire, parce qu’en soi, que les privilégiés défendent leurs privilèges n’est guère surprenant. Mais quand une femme jubile à l’idée « d’emmerder les féministes », mes vannes à mépris s’ouvrent encore plus grand. Vous avez raison, Madame Lévy, emmerdez avec votre ami Frédéric les féministes, ces coincées du cul qui font partie du grand club des « peine-à-jouir » (sic) de la gauche. Et puisque vous les emmerdez si bien, je propose qu’on vous retire tous les droits qu’elles ont obtenus par la lutte et dont vous profitez chaque jour : vos droits juridiques vous seront donc retirés au profit de votre mari, à qui vous devrez obéissance. Vous ne pourrez plus voter, ni ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de Monsieur votre époux. Vous serez payée moins que vos homologues masculins – d’ailleurs, non, vous ne travaillerez même plus, puisque votre rôle est d’être à la maison à vous occuper de vos huit gosses, que vous aurez eu suite à l’arrêt de votre pilule contraceptive (pas de contraception pour vous, et pas d’IVG non plus, évidemment, c’est un crime contre l’Etat). Ne venez pas vous plaindre si vous êtes victime de violence conjugale : ça n’existe pas, votre mari à tous les droits. Vos diplômes. Quels diplômes? Les femmes ne vont pas à l’université, quelle drôle d’idée. Puisque vous emmerdez les féministes, elle peuvent bien vous emmerder aussi un peu, non? La grande bonne nouvelle de tout ça, c’est que votre torchon de magazine disparaîtra peut-être avec vos droits.

L’argument que vous avancez pour justifier cette bonne blague de manifeste des 343, c’est que « le désir masculin n’est pas répréhensible en soi ». Mais qu’elles sont connes ces féministes : en plus de manquer d’humour et de ne s’intéresser « qu’au partage des tâches ménagères » (vous prouvez par cette affirmation votre grande connaissance du féminisme), elle pensent qu’il faut réprimer le désir masculin. Leur lutte pour l’égalité des droits entre hommes et femmes, contre la violence, l’oppression, les injonctions sociales aliénantes pour les deux sexes, est une couverture pour dissimuler leur but réel : castrer les pauvres hommes, leur couper les parties, les vider de leur testostérone. Oui, c’est contre l’abject, vicieux et sale désir masculin qu’elles luttent. Mais vous, Elisabeth, vous défendez le droit des hommes à se décharger les burnes contre monnaie sonnante et vous méprisez à raison les féministes pour leurs luttes idiotes. Vous menez ce noble combat qui défend la « cause des hommes » – parce qu’un homme, ça va aux putes, ça en a le droit, et ce droit, il est urgent de le réaffirmer contre une position qui menace leur liberté fondamentale et leur dignité d’être humain.

Comment vous expliquer ? Si pour vous « désir masculin », « cause des hommes » et « achat d’un acte sexuel tarifé » sont une seule et même chose, laisse-moi vous dire qu’il vous manque une case. Si le désir masculin n’est pas répréhensible en soi (heureusement), il est encore heureux qu’il y ait des personnes avec davantage de jugeote que vous pour interroger les limites et le droit de ce désir à être satisfait, quand il implique l’exploitation du corps d’un autre être humain, de la misère et/ou le cautionnement de réseaux mafieux, la perpétuation de rapports de domination et de pouvoir. Mais si vous préférez rire de tout ça, libre à vous, après tout  : rira bien qui rira le dernier, et vous regretterez peut-être un jour de vous être vautrée dans la fange avec les signataires de ce lamentable manifeste, surtout quand vous aurez jeté un coup d’oeil sur ce que sont certains clients de prostituées (on plaindrait presque ceux qui sont terriblement désappointés car la fille ne prend aucun plaisir avec eux, dites donc). Ou simplement quand vous aurez réfléchi un peu.